Chère Poupette,
Je vais te raconter dans cette lettre le tout début de ton histoire.
Au moment où tu n’étais même pas créée. Tu étais « juste » une étincelle dans nos yeux. Un concept, une idée, un souhait, un désir : « j’aimerais vivre l’expérience d’être maman un jour ».
Et ensuite à deux, c’est devenu un rêve, que nous avons exprimé sous forme de vœux : « nous aimerions devenir parent ensemble ». Et alors toi, tu es devenue la concrétisation tangible de ces deux rêves devenus un, fruit naturel de cet amour profond qui nous unit avec ton papa …
Le rêve n’est pas devenu réalité du jour au lendemain. Cela a été un long processus. Ce souhait, qui était bien présent, était teinté de différentes peurs… Tout d’abord il y a eu les histoires maternelles familiales de ma mère et de ma grand-mère – elles ont chacune perdu un enfant -, puis les rencontres amoureuses sans lendemain et, plus largement, le monde dans lequel nous vivons avec ses challenges multiples.
C’est lorsque j’ai rencontré ton papa que j’ai commencé à me sentir plus forte. Peu à peu la crainte s’est volatilisée, et s’est transformée en une profonde envie. L’envie a vaincu les peurs. Enfin prête à tenter l’aventure. J’avais 35 ans.
Après quelques mois d’essais infructueux, nous avons demandé de l’aide. Impatience, âge « avancé », horloge biologique, inquiétude, … je ne sais pas exactement ce qui m’a poussé à passer le cap. En tout cas un an et quelques mois après, après une batterie d’examens médicaux, nous avons entamés un parcours de procréation médicalement assistée (PMA). C’est un parcours impliquant des interventions physiques très techniques, impersonnelles, et tout cela loin, très loin de la douceur et du cocon d’un foyer …
La plupart du temps, il n’y a pas besoin de médecin, ça se fait tout seul : c’est la nature ! Mais dans certains cas, comme le nôtre, il faut un peu d’aide… et comme cela reste la nature, parfois tout se passe très bien, parfois un peu moins, sans que l’on sache vraiment pourquoi. En tout cas aujourd’hui tu es là !
Cela a été difficile pour moi de vivre cette étape de PMA. Mais, au bout du compte, avec le recul, le plus important pour moi est l’intention que l’on met dans ce que l’on souhaite obtenir, peu importe le chemin pour y arriver…
Complexe d’abord parce que le jour où j’ai appris que nous allions devoir entrer dans ce processus, je me suis sentie « comme si » on m’avait enlevé une partie de mes capacités naturelles. En tant qu’humain, et particulièrement pour la femme, on a cette force mystérieuse en nous qui permet d’accueillir la graine du papa, et de la voir se mélanger à la sienne. Cela marque le début d’une épopée incroyable permettant de créer un nouveau petit être humain. C’est un des pouvoirs magiques de l’homme, et de la VIE.
Pourtant je l’ai fait. Je l’ai fait dans l’espoir de pouvoir t’accueillir, toi la représentation d’une future nouvelle vie merveilleuse.
Difficile parce qu’ensuite il y a eu l’enchainement des consultations, des actes médicaux diverses et variés et plus ou moins douloureux, du nombre de personnes rencontrées, plus ou moins compatissantes, douces, aimables et faisant preuve de soutien (gynécologues, spécialistes, infirmières, radiologues, échographes, biologistes etc.), des lieux différents à appréhender, …
Pourtant je l’ai fait. Je l’ai fait en restant concentrée sur la finalité : pouvoir t’aimer, toi, de l’amour d’une mère (même si je ne savais pas à ce moment-là que c’est toi).
Compliqué parce que parfois c’était douloureux pour le corps. Certains examens l’étaient ; certains médecins étaient peu précautionneux et respectueux ; les injections d’hormones l’étaient ; les réactions aux hormones peuvent l’être – j’ai de la chance, dans mon cas, je n’ai pas eu d’effets secondaires. Tu connais bien ça toi aujourd’hui : le stylo magique pour tes hormones de croissance. Et bien j’ai eu la même chose : un stylo magique avec des hormones pour m’aider à t’avoir, même si je ne devais pas le faire tous les jours comme toi.
Pourtant je l’ai fait. Je l’ai fait car j’ai la volonté d’y croire coute que coute… je visualise notre future vie à 3 et ça me donne envie !
Douloureux aussi parce que je passais de l’espoir à la déception, de la joie à la peur, des rires aux larmes, de la confiance à la jalousie – notamment de voir les autres parents -, de la comparaison à « chacun son chemin », et beaucoup beaucoup beaucoup de culpabilité … Ces montagnes russes étaient si difficiles à gérer au quotidien, épuisantes… difficiles à aplanir ; difficile à contenir ; difficile à vivre.
Pourtant je l’ai fait. Je l’ai fait pour pouvoir te trouver et te rencontrer enfin, toi qui est dans mes rêves depuis si longtemps.
Difficile aussi parce que plus le temps passait et plus je m’isolais, dans mon monde de PMA : en parler avec les amis c’était dur, surtout ceux qui ont déjà des enfants ou qui en attendent ; en parler avec la famille c’était délicat car ils étaient tout autant plein d’espoir que moi, que nous ; en parler avec papa, c’était pesant, il n’y avait pas que ça dans notre vie ; en parler avec les collègues au travail cela pouvait être « risqué » pour ma carrière ; en parler à ma cheffe c’était embarrassant, car je le vivais presque comme un échec …. et même si c’était une femme elle aussi… et puis un jour j’ai décidé de lui dire, en toute confidence, pour me faciliter la vie. C’était un fait. J’ai fais le choix de me préserver le plus possible. C’était tellement important dans ce contexte. Et cela a fonctionné : elle a été pleine de compréhension. J’ai aussi décidé de mettre en place un suivi psychologique. Les sessions régulières m’aidaient à évacuer de nombreuses pensées et à prendre conscience de tout un tas de choses.
Pourtant je l’ai fait. Je l’ai fait avec la volonté de pouvoir prendre soin de toi, demain, du mieux que je le pourrai – en pleine conscience de qui j’étais.
Exigeant également parce que la sensation de contrôle était quasi permanente. Rien n’était laissé au hasard, du jour à l’heure presque exacte des piqûres, aux quantités injectées, aux produits injectés, aux jours de tests et de prises de sang. C’était LA priorité et le reste se calait autour. Facile de se laisser envahir par les contraintes et d’en oublier toute forme de légèreté!
Pourtant je l’ai fait. Je l’ai fait avec la détermination que cela fonctionnera car je voulais te rencontrer pour de vrai : toi – ton visage, ton caractère, tes intérêts, tes réflexions, tes envies, tes réactions, tes peurs …
Insurmontable aussi à certains moments, lorsque cela ne fonctionnait pas. La douleur, la déception, la tristesse, l’angoisse, la culpabilité et de nombreux sentiments qui s’entremêlaient de manière très très intense…en plus de cette douleur bien réelle qui me tiraillait dans mon bas ventre. Douleur physique, douleur mentale, douleur du cœur.
Pourtant, je continuais de le faire. Je l’ai fait avec force et volonté dans le désir de pouvoir t’accompagner sur le chemin de la VIE.
Inextricable enfin quand les pensées négatives prenaient le dessus… et tournaient en boucle, étudiant toutes les pires options dans l’attente d’avoir le résultat de cet essai, ou bien celui-là, ou bien encore celui-ci… Elles génèrent chez moi une angoisse profonde et difficile à gérer.
Et pourtant je continuais de le faire. Et je l’ai fait avec pour dessein de pouvoir t’aimer.
Ce qui m’a aidé à traverser cette étape c’est l’expectative de ta venue, de notre rencontre, nos découvertes et surtout de l’amour que j’allais pouvoir donner et recevoir.
Ce qui m’a aidé aussi ce sont ces ami(e)s, frères ou parents, ces thérapeutes et ces médecins qui ont pris le temps de nous envelopper de douceur avec toute leur empathie dans ce tumultueux chemin qu’est la PMA.
Et enfin, ce qui m’a aidé c’est l’amour et la force de notre couple, parce que nous nous sommes promis et avons choisi d’avancer ensemble main dans la main vers cette découverte incroyable qui est TOI !
Avec tout mon amour,
Maman