Chère poupette,
C’est arrivé le 25 décembre 2018. Le jour de Noël.
Tu célèbres ta première semaine parmi nous… enfin…. façon de parler car tu es encore à l’hôpital. Je suis très fatiguée et stressée car les dernières semaines, les derniers mois, à vrai dire, ont été éprouvants. Éprouvants tant physiquement qu’émotionnellement. Mais quelle joie de t’avoir rencontrée et de t’accueillir enfin après ce parcours rocambolesque ! Je suis pleine de gratitude…
Parfois tu penses avoir dû gérer le pire, et pourtant un nouveau défi arrive, que tu n’as pas vu venir – d’ailleurs tu ne les vois jamais arriver – … c’était le cas ce jour-là.
Nous avions prévu de venir te voir et de passer du temps avec toi, comme chaque jour depuis ta naissance, avant d’aller fêter Noël avec la famille. Nous n’étions pas préparés à ce qui allait nous être annoncé. Qui aurait pu l’être ? « Prendre le contrôle » de ce que l’on vit : c’est une illusion. La seule partie que l’on peut contrôler c’est, le sens que l’on donne aux évènements qui se présentent à nous, la perspective que l’on adopte et les décisions que l’on prend à ce moment-là… et cela demande de l’entrainement.
Nous garons la voiture sur le parking de l’hôpital, faisons le code à l’entrée du sas de la néonatologie, nous lavons les mains, enfilons nos blouses, charlottes et sur-chaussons, avant d’enfin entrer. Nous passons devant toutes ces chambres connectées pour le monitoring des bébés – une ambiance faussement sereine se dégage, jusqu’à ce qu’on arrive à la centrale ; le cœur du système de monitoring qui previent les soignants du moindre changement respiratoire, de rythme cardiaque etc. de tous ces petits bébés qui sont, comme toi, surveillés jour et nuit. Certaines chambres sont « avec vue » sur cette centrale : la tienne en fait partie.
Nous entrons dans ton cube de verre : tu dors paisiblement dans ta couveuse. Celle-ci permet de te protéger de l’environnement extérieur, de réguler ta température corporelle et d’amoindrir les sons. Il ne faut pas oublier que tu ne pèses que 1,2 kg à ce moment-là, Tu as beaucoup de mal à prendre du poids, malgré la sonde nasale qui te nourrit presque 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
Au bout d’une semaine nous avons presque eu le temps de créer nos habitudes dans ce lieu – des repères qui nous permettent de nous sentir un peu comme chez nous dans cet environnement un peu effrayant pour moi. Tout y est inhabituel, c’est une perte de repère et il s’y passe beaucoup de scènes compliquées. C’est un environnement que l’on côtoie peu dans sa vie, quand, comme nous, nous avons la chance d’être en bonne santé. Et quand tout à coup on s’y retrouve tous les jours … ce n’est pas évident de s’habituer. Nous nous accrochons aux activités récurrentes et régulières : ton rythme de respiration, tes hoquets, les bruits des machines, les allées et venues des infirmières, le temps des repas, …
Nous nous installons…
… et le médecin de garde fait son entrée. Impossible de déterminer ce qu’il pense, s’il est inquiet ou confiant, s’il est de bonne ou de mauvaise humeur, s’il est disponible ou ne l’est pas. Je scrute son visage pour essayer d’obtenir son évaluation du jour : elle va bien, elle a pris un peu de poids, il y a du progrès. Le graal pour moi chaque jour, seules paroles auxquelles se raccrocher pour me rassurer : ce sont eux les experts. Je suis incapable de me fier à mes ressentis lors de ces visites à l’hôpital : le lieu reste plombant et me déconnecte de mes sens, comme si j’étais à côté de mes pompes. C’est un mélange étonnant de confiance et de crainte de ce qui va se dire, comme si on allait me reprocher de ne pas bien effectuer mon travail (de mère, dans ces conditions !), de ne pas être suffisamment présente sur place, de ne pas être assez alerte et inquiète, de ne pas … La gestion du regard des autres est déjà compliquée dans la vie, mais lorsque l’on devient mère et que l’on doit s’en remettre aux professionnels de santé, il est encore plus compliqué de se faire confiance et de ne pas sentir ce jugement, même s’il est certainement imaginaire…
Et tout à coup, le médecin prend la parole : « Votre fille a attrapé une bactérie, un staphylocoque, nous ne savons pas comment. Nous lui administrons des antibiotiques, normalement nous avons réagi à temps, mais nous ne sommes pas confiants. Les 24 prochaines heures seront déterminantes. »
C’est factuel, brut et ça tombe comme un couperet. Je te regarde : tu dors profondément et sereinement, dans la position dans laquelle nous t’avons laissée le soir précédent en rentrant dormir à la maison. Incroyable le décalage entre ce qui m’est annoncé, mes ressentis – émotionnels et physiques – et ce que je vois avec mes yeux.
Je mets du temps à intégrer l’information – je suis sidérée. Après toutes les épreuves que nous avons traversées, il y a encore celle-ci ? Elle me semble insurmontable ; la fatigue et le stress accumulés amplifient mes réactions et l’afflux incontrôlé de mes pensées. Tout allait bien : comment est-ce possible ? Que cela signifie-t-il exactement ? Quand saurons-nous que tout va bien ? Que puis-je faire ? Y-a-t-il une autre issue à laquelle personne n’aurait pensé ?
Comme souvent …. Rien ; s’armer de patience et de confiance ; laisser faire et attendre. Même à l’hôpital c’est ainsi que cela se passe. Au moins tu es entre les meilleures mains qui soient. J’ouvre la petite fenêtre de ta couveuse et je passe ma main à travers. Je la pose sur ton petit corps frêle, tout en douceur… Je sens ta chaleur, ta douceur, tu es paisible. Insidieux : ça ne se voit pas !
Mais de mon côté, mon mental s’emballe, comme un cheval au galop…. Mes peurs m’envahissent, tout mon corps en est traversé ; je me sens faible, presque trembler. Je suis emplie d’un mélange de sentiments : de l’injustice, de la colère, de l’angoisse – je me sens complètement démunie face à cette petite vie paisible et qui pourtant est en danger ! J’essaye de ravaler mes larmes : ce n’est pas le moment. C’est inévitable…. Je retire ma main pour que tu ne sentes pas : tu n’as clairement pas besoin de ça en plus !
Et tout à coup, impossible de les retenir plus longtemps : je pleure. Quelle est ma place ? Que puis-je faire ? Je réalise à cet instant que je ne peux qu’une seule chose : être maman, apportant tout l’amour que je porte en moi, à mon enfant. Cet amour inconditionnel dont on m’a tant parlé et que je n’avais pourtant pas vraiment intégré …
Mais comment m’y prendre dans ces circonstances ?
M’écouter et me faire confiance… Contre toute attente, je décide de partir, d’aller prendre ce repas en famille, m’éloigner de cet endroit. Pour me recharger. Tu es dans mon cœur tout du long, même si je ne suis pas physiquement à tes côtés. Je visualise un magnifique fil d’or, lumineux, et plein de vitalité – représentant la force du lien qui existe entre nous – reliant nos 2 cœurs ; voie de passage de l’amour et de son énergie que je te fais parvenir même en étant à distance. Merci à ma thérapeute favorite pour cette idée.
Je quitte le cube, sans me retourner.
Le repas de famille m’aide à penser à autre chose, à réguler mon mental et mes peurs : je concentre mon cerveau sur les questions que l’on me pose, les discussions qui ont lieu, me nourrir et ressentir la bonté de ceux qui ont cuisiné ces merveilleux plats… une bulle de mieux être. Je me recharge un peu. Je me détends un peu. Je prends de la distance et un peu de hauteur, sans pour autant t’oublier. Je me sens soutenue par mon entourage, même si parfois leurs propos m’apparaissent déplacés, mal à l’aise : ils sont là pour nous, pour toi, et font du mieux qu’ils peuvent pour nous accompagner à leur manière. Ton papa et moi ne ressentons que de la compassion.
A tout instant, à chaque seconde, tu es avec moi par la pensée et par le cœur.
De retour le soir-même à tes côtés, les antibiotiques ont commencé à faire leur effet, et le lendemain matin on nous annonce que tu es sortie d’affaire…. Quelle force et quelle volonté!
Alors, ma chère poupette, rien de sert de chercher à tout contrôler dans la vie. Sans le temps que j’ai eu lors de ma grossesse pour prendre du recul, j’aurais foncé tête baissée, je serais restée à tes côtés, parce que je pensais que c’était ce qu’il « faut » faire. En m’oubliant.
Parce qu’on m’a appris à faire passer les autres avant moi, à faire face et assumer ce qui relève de moi, à agir par tous les moyens envisageables, et surtout à ne pas baisser les bras …. Mais aucune de ces réactions n’auraient été la bonne en cet instant.
A chaque fois que tu te sentiras impuissante, traversée par une émotion brusque, vive et violente, cherche à l’intérieur de toi comment tu peux réagir et agir : laisse venir ce qui vient, donne lui l’espace nécessaire pour s’exprimer, et accepte ce qui ressort en toi. Tes émotions, tes ressentis corporels sont tout aussi importants que tes réflexions rationnelles. C’est un équilibre de tous ces éléments qui te permet de prendre la meilleure décision face aux aléas de la vie.
Fais toi confiance, toi seule sais.
Avec tout mon amour,
Maman