Chère poupette,
27/04/2020.
C’est, pour moi, une date charnière. J’ai dû la rechercher, je l’avais éradiquée de mon esprit.
Journée marquante. Nous sommes en plein confinement, forcés de rester à la maison, avec un quotidien et un rapport au travail chamboulé. Je travaille à 25% seulement et je suis enfermée avec toi toute la journée à la maison.
C’est très dur pour moi d’être seule avec toi. Trop de responsabilités entre autres à cause de ton état. Je suis remplie de peurs. Ces peurs se sont cristallisées dans les repas : aucun n’est fluide, c’est systémiquement un moment d’angoisse. Tu ne manges pas, ou très peu. Pourtant, toute la pression et l’inquiétude des médecins porte sur le poids que tu ne prends pas. Et comme c’est à moi que l’on s’adresse pour trouver des solutions ou me questionner, j’en suis arrivée à penser que j’étais la seule responsable de cette situation : je suis « la » mère qui n’arrive pas à faire manger son enfant…
Les repas durent 1h30 en moyenne, commençant toujours avec l’espoir que ça va bien se passer, se poursuivant avec l’épuisement de tout ce que je mets en œuvre pour t’occuper l’esprit, dans le seul et unique but que tu ouvres la bouche et avale quelque chose. Et se terminant très souvent pour moi par une explosion de larmes, une crise de colère ou une fuite. Le constat est toujours le même et le suivi rapproché de ta prise de poids me le rappelle chaque semaine : tu n’as pas assez mangé pour continuer à te développer comme il se doit. Et a priori j’en conclue que c’est de ma faute car il n’y a aucune explication rationnelle à tout cela. C’est épuisant, usant.
Certains jours c’est une cuillère de compote toutes les 30 minutes toute la journée !
Et cela fait 1 an ½ que cela dure. Le moindre repas sauté a des répercussions catastrophiques sur ton poids, tu perds plus vite que tu ne gagnes.
Aujourd’hui pourtant, j’ai la tête ailleurs. Peut-être allons-nous avoir une réponse à toutes nos angoisses…
J’ai un rdv virtuel à 15h avec un pédiatre endocrinologue du centre de référence de Trousseau où ont atterri tes énièmes prises de sang…
Je me connecte, en retenant ma respiration.
En l’espace de quelques phrases, la confirmation tombe : tu as bien ce que la généticienne soupçonnait : le syndrome de Silver Russell.
Avec la grossesse et depuis ta naissance, le diagnostic aura mis 1 an et presque 6 mois à être confirmé. Même si je sais que c’est assez rapide pour un diagnostic, cela m’a quand même semblé une éternité.
Une éternité faite d’un horizon infini de questionnements, d’inquiétudes.
Une éternité de répétitions hebdomadaire sur les circonstances de ta naissance et de la grossesse pour répondre à la demande de contexte des différents médecins que nous voyons.
Une éternité d’attente.
Une éternité d’espoir que les choses s’améliorent et de dégringolade émotionnelle systématique qui s’en suit avec le contrôle de ton poids qui n’est jamais satisfaisant… il faut savoir que sur le carnet de santé tu es en-dessous de 2 courbes de la courbe la plus basse de la moyenne ; soit, pour les médecins, en état de famine.
Une éternité de culpabilité sur le fait que je n’arrive pas à alimenter mon enfant, que ce soit avec l’allaitement, avec le biberon ni même avec la diversification. C’est pourtant le rôle premier d’une mère…
Une éternité d’incertitudes.
Une éternité…
Soulagement.
Je me remets à respirer. On a trouvé quelque chose ! Quelle chance !
C’est une maladie rare, génétique ; plus précisément un syndrome – ensemble de symptômes caractérisant un état pathologique. Il y a une identification génétique, mais également clinique avec des signes spécifiques. Entre autres : très petit poids et très petite taille, difficultés sévères pour s’alimenter, des membres de longueurs différentes, une forme de visage particulière, de l’hypoglycémie, des risques accrus de problèmes métaboliques en grandissant, pas assez de place dans la bouche pour les dents…. Et la liste est longue.
Tu as de la chance, tu n’as que peu de ces éléments.
On a aussi de la chance car il existe un centre de référence à Paris, avec une certaine connaissance, un suivi multidisciplinaire, et des traitements permettant de faciliter certains aspects de la vie de ces enfants.
Et en plus, il existe une association pour accompagner les parents.
Nous ne sommes pas seuls.
Les 2 plus grosses difficultés à ce stade consistent à :
- S’assurer que tu t’alimentes. Ceci est crucial pour ta croissance et ton développement mais également pour éviter toute crise d’hypoglycémie associée qui pourrait être néfaste pour ton cerveau. Tu ne réclames JAMAIS et c’est avec beaucoup de difficulté que tu avales ce que nous te proposons.
- A gérer l’urgence en cas de maladie infantile. L’impact de celles-ci est encore plus grave car, comme pour tous les enfants, si cela arrive, tu arrêtes de manger. Tu n’as aucune réserve et ceci constitue un risque vital pour toi.
Mon mode hyper vigilance qui était déjà très actif, peut se relâcher un peu…
Soulagement, certes, mais l’angoisse ne diminue pas pour autant. Un nouveau monde à comprendre s’ouvre à moi. Je réalise vite que la liste des potentialités pouvant se produire est longue…. Comme une épée de Damoclès prête à fondre sur toi à l’improviste quand je ne sais qui en aura décidé ….
Mon premier réflexe est de me dire que je ne veux pas connaitre l’avenir, ni ces potentialités. Ce sont des potentialités. Me connaissant, il ne faut pas que j’en sache trop. Je décide de ne pas me renseigner – et surtout pas regarder internet – de rester focus sur l’instant présent. Une marche après l’autre.
Je décide ensuite de me concentrer sur toi – tu es ma boussole. Quand je te regarde je vois : ta soif de vivre, ta joie, ton amour, ta détermination, ta force, ta curiosité, ta soif d’apprendre et de découvrir le monde, ta câlinerie, ta sensibilité, ta maturité pour ton âge, ton amour … Adorable petite fille … tu as tellement de trésors à apporter au monde !
Nos enfants en ont tous en eux.
D’ailleurs nous avons, nous aussi, des trésors que l’on porte en nous depuis notre naissance, mais que bien souvent nous camouflons au grès des expériences, de l’éducation et des peurs qui nous oppressent chaque jour.
Pour le moment, je décide, autant que possible de me concentrer sur cela dès que je doute, dès que je culpabilise, dès que j’ai peur.
Quelle chance j’ai – et je te le dis souvent – d’avoir une petite fille comme toi !
Je te fais alors des promesses :
- essayer autant que possible – car parfois c’est difficile- de t’accompagner dans la prise de confiance en toi et de ces trésors qui sont les tiens.
- prendre conscience de mes peurs pour ne pas me faire dominer par elles. Je n’y arrive pas toujours.
- et bien sûr t’aimer inconditionnellement. Tu es déjà une Grande Personne qui nous montre un autre chemin que celui que l’on emprunte habituellement.
Je ne savais pas encore que ce moment et ses questionnements allaient constituer un tournant pour moi. J’allais alors devenir, officiellement, mère-aidante.
Avec tout mon amour,
Maman
Pour inspiration : écouter « La Symphonie des éclairs », Zaho de Sagazan